© Irving Penn |
vendredi 23 mars 2012
René Char, J' habite une douleur, Fureur et mystères
René Char, J'habite une douleur, fureur et mystère
© Irving Penn |
Ne laisse pas le soin de gouverner ton cœur à ces tendresses parentes de l'automne auquel elles empruntent sa placide allure et son affable agonie. L'œil est précoce à se plisser. La souffrance connaît peu de mots. Préfère te coucher sans fardeau: tu rêveras du lendemain et ton lit te sera léger. Tu rêveras que ta maison n'a plu de vitres. Tu es impatient de t'unir au vent qui parcourt une année en une nuit.
D'autres chanteront l'incorporation mélodieuse, les chairs qui ne personnifient plus que la sorcellerie du sablier. Tu condamneras la gratitude qui se répète. Plus tard, on t'identifiera à quelque géant désagrégé, seigneur de l'impossible. Pourtant.
Tu n'as fait qu'augmenter le poids de ta nuit. Tu es retourné à la pêche aux murailles à la canicule sans été. Tu es furieux contre ton amour au centre d'une entente qui s'affole. Songe à la maison parfaite que tu ne verras jamais monter. A quand 1 récolte de l'abîme? Mais tu as crevé les yeux du lion. Tu crois voir passer la beauté au-dessus des lavandes noires ...
Qu' est-ce qui t'a hissé, une fois encore, un peu plus haut, sans te convaincre. Il n'y a pas de siège pur.
D'autres chanteront l'incorporation mélodieuse, les chairs qui ne personnifient plus que la sorcellerie du sablier. Tu condamneras la gratitude qui se répète. Plus tard, on t'identifiera à quelque géant désagrégé, seigneur de l'impossible. Pourtant.
Tu n'as fait qu'augmenter le poids de ta nuit. Tu es retourné à la pêche aux murailles à la canicule sans été. Tu es furieux contre ton amour au centre d'une entente qui s'affole. Songe à la maison parfaite que tu ne verras jamais monter. A quand 1 récolte de l'abîme? Mais tu as crevé les yeux du lion. Tu crois voir passer la beauté au-dessus des lavandes noires ...
Qu' est-ce qui t'a hissé, une fois encore, un peu plus haut, sans te convaincre. Il n'y a pas de siège pur.
dimanche 18 mars 2012
Paul Eluard , " Mourir de ne pas mourir " , 1924
Paul Éluard & sa jolie Nusch |
Et ses cheveux sont dans les miens
Elle a la forme de mes mains
Elle a la couleur de mes yeux
Elle s'engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.
Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s'évaporer les soleils,
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire."
vendredi 9 mars 2012
le fait poétique selon Federico Garcia Lorca (traduction J. Gran Riquelme)
Extraits de deux conférences données par Federico Garcia Lorca en 1928.
La mission du poète est celle-ci : animer, dans son sens exact, donner de l’âme…Mais ne me demandez pas ce qui est vrai et ce qui est faux, parce que la « vérité poétique » est une vérité qui change selon l’énoncé. Ce qui est lumière chez Dante peut être laideur chez Mallarmé. Et d’autre part, on sait que la poésie doit être aimée. Que personne ne dise que ceci est obscur, parce que la poésie est limpide. C’est à dire qu’il est nécessaire de chercher « avec effort et vertu, la poésie, pour que celle-ci se donne à nous. Nous devons avoir oublié complètement la poésie pour que celle-ci tombe nue dans nos bras.(…) Ce que la poésie n’admet d’aucune façon c’est l’indifférence. L’indifférence est le siège du démon. Mais c’est elle qui parle dans la rue avec un vêtement grotesque de suffisance et de culture ».
Pour moi l’imagination est synonyme de l’aptitude à la découverte. Imaginer, découvrir, amener notre peu de lumière vers la pénombre vivante où existent toutes les infinies possibilités, les formes et les chiffres. L’imagination fixe et donne une vie limpide à des fragments de la réalité invisible où l’homme se meut.La fille directe de l’imagination est la métaphore, qui naît quelquefois des assauts rapides de l’intuition, éclairée par la lente angoisse du pressentiment.
Mais l’imagination est limitée par la réalité ; on ne peut imaginer ce qui n’existe pas.(…)L’imagination poétique voyage et transforme les choses, leur confère un sens plus pur et détermine des relations insoupçonnées; mais toujours, toujours, toujours elle agit sur des faits de la réalité la plus nette et la plus précise. Elle est dans notre logique humaine, contrôlée par la raison, dont elle ne peut se déprendre. Sa façon spéciale de créer nécessite l’ordre et les limites. L’imagination est celle qui a construit les quatre points cardinaux, celle qui a découvert les causes intermédiaires des choses, mais elle n’a jamais pu abandonner ses mains dans les braises sans la logique ni le sentiment où se meut l’inspiration libre et sans chaînes.
L’imagination est le premier échelon et la base de toute poésie. C’est avec elle que le poète construit une tour contre les éléments et contre le mystère. Il est inattaquable, il ordonne et il est entendu.L’imagination est pauvre et l’imagination poétique l’est plus encore. La réalité visible, les faits du monde et du corps humain ont beaucoup plus de nuances, sont plus poétiques que ce que l’imagination découvre.
L’imagination des hommes a inventé les géants pour leur imputer la construction des grandes grottes et des villes enchantées. La réalité a enseigné par la suite que ces grottes sont faites par la goutte d ‘eau. Par la seule goutte d’eau patiente et éternelle. Dans ce cas, comme dans beaucoup d’autres, c’est la réalité qui gagne. L’instinct de la goutte d’eau est plus belle que celle du géant.La vérité de la réalité surpasse l’imagination en poésie, c’est à dire que l’imagination elle même découvre son indigence.(…)
Le poète se promène toujours dans son imagination, limité par elle (…)Mais le poète se trouve pris entre son vouloir et son impuissance, seul dans son paysage intérieur.(…) Parce que lorsqu’il essaiera d’exprimer la vérité poétique d’un quelconque motif, il devra nécessairement se servir de sentiments humains, il se servira de sensations qu’il a vu et entendu, il aura recours à des analogies plastiques qui n’auront jamais une valeur esthétique adéquate. Parce que l’imagination seule n’arrive jamais à ces profondeurs.
Mais le poète qui veut se libérer du champ de l’imagination, ne pas vivre exclusivement de l’image que produisent les objets réels, arrête de rêver et arrête de vouloir. Il ne veut plus, il aime. Il passe de l’imagination qui est un fait de l’âme, à l’inspiration qui est un état de l’âme. Il passe de l’analyse à la foi. A ce stade les choses sont ainsi, sans effet ni cause explicable.Il n’y a plus de terme ni de limites, admirable liberté.
Ainsi comme l’imagination poétique a une logique humaine, l’inspiration poétique a une logique poétique. La technique acquise ne sert plus, il n’y a aucun postulat esthétique sur lequel agir ; et comme l’imagination est une découverte, l’inspiration est un don, un cadeauineffable. (…)
L’inspiration attaque souvent de face l’intelligence et l’ordre naturel des choses. Il faut regarder avec des yeux d’enfant et demander la lune. Il faut demander la lune et croire que l’on peut nous la mettre entre les mains.L’imagination attaque le sujet furieusement de toutes part et l’inspiration le reçoit tout à coup et l’enveloppe dans la lumière subite et palpitante, comme ces grandes fleurs carnivores qui emprisonnent l’abeille tremblante de peur et la dissolvent dans le jus amer qui suinte de ses pétales sans pitié.
L’imagination est intelligente, ordonnée, pleine d’équilibre. L’inspiration est quelquefois incongrue, elle ne connaît pas l’être humain et elle met souvent un vers livide dans les yeux clairs de notre muse. Parce qu’elle est amour. Sans que nous puissions le comprendre. L’imagination a et donne une ambiance poétique et l’inspiration invente le fait poétique.Le fait poétique ne peut pas être contrôlé. Il faut l’accepter comme l’on accepte la pluie d’étoiles. Réjouissons nous que la poésie puisse s’évader des griffes froides du raisonnement.
C’est le point de vue actuel de la poésie que je cultive. En tant que poète authentique, que je suis et que je serai jusqu’à ma mort, je ne cesserai de me flageller dans l’attente du flot de sang vert ou jaune qui forcément coulera de mon corps, à cause de ma foi, un de ces jours.(…)La lumière du poète est la contradiction. Cependant, je n’ai jamais prétendu convaincre quiconque.Je serais indigne de la poésie si j’adoptais cette position. La poésie ne requiert pas d’adeptes mais des amants. Elle met des branches de mûres et des bris de verre pour que les mains qui la cherchent se blessent par amour.
Traduction : J. Gran Riquelme (Source: Alianza Editorial Madrid)
mercredi 7 mars 2012
Michaël Glück | L’Espèce, texte pour un théâtre de la parole fondatrice
·
parle
dis-nous
parle pour nous
dis-nous les mots
et la naissance du monde
la violence le chaos la guerre
dis la guerre intérieure ton corps blessé
dis les frontières qui te traversent territoires meurtris
dis-nous le cancer du monde qui te ronge
chacun de nous est territoire occupé chacun de nous terreur
dis dis-nous l’histoire qui nous insulte qui nous tue
raconte les morts ceux d’ici ceux d’en face les morts
chacun de nous est assiégé chacun de nous le lieu de la cruauté
combien de morts aujourd’hui combien demain la haine nourrit germes de haine
dis-nous tout ce que nous savons chacun de nous terreur
quelles bombes amorcées en chacun de nous combien de morts
parle avant les combats avant les mots de boucherie
dis-nous la peur qui viendra la peur
et dis-nous la fin du monde
la fin sans fin du monde
dis l’espèce humaine avilie
dis-nous les mots
parle contre nous
insulte crie
vis
http://remue.net/spip.php?article1603
mardi 6 mars 2012
Mahmoud Darwich, « Comme des fleurs d’amandier ou plus loin »
Pour décrire les fleurs d'amandier,
Van Gogh |
l'encyclopédie des fleurs et le dictionnaire
ne me sont d'aucune aide...
Les mots m'emporteront
vers les ficelles de la rhétorique
et la rhétorique blesse le sens
puis flatte sa blessure,
comme le mâle dictant à la femelle ses sentiments.
Comment les fleurs d'amandier resplendiraient-elles
dans ma langue, moi l'écho ?
Transparentes comme un rire aquatique,
elles perlent de la pudeur de la rosée
sur les branches...
Légères, telle une phrase blanche mélodieuse...
Fragiles, telle une pensée fugace
ouverte sur nos doigts
et que nous consignons pour rien...
Denses, tel un vers
que les lettres ne peuvent transcrire.
Pour décrire les fleurs d'amandier,
j'ai besoin de visites
à l'inconscient qui me guident aux noms
d'un sentiment suspendu aux arbres.
Comment s'appellent-elles ?
Quel est le nom de cette chose
dans la poétique du rien ?
Pour ressentir la légèreté des mots,
j'ai besoin de traverser la pesanteur et les mots
lorsqu'ils deviennent ombre murmurante,
que je deviens eux et que, transparents blancs,
ils deviennent moi.
Ni patrie ni exil que les mots,
mais passion du blanc
pour la description des fleurs d'amandier.
Ni neige ni coton. Qui sont-elles donc
dans leur dédain des choses et des noms ?
Si quelqu'un parvenait
à une brève description des fleurs d'amandier,
la brume se rétracterait des colline
et un peuple dirait à l'unisson :
Les voici,
les paroles de notre hymne national ! In, « Comme des fleurs d’amandier ou plus loin »
lundi 5 mars 2012
Roberto Juarroz(Douxième poésie verticale, poème 40)
Photo :Hengki Koentjoro II |
Nous
avons aussi trahi l’eau
La
pluie ne tombe pas pour cela, Le fleuve ne coule pas pour cela,
la mare ne stagne pas pour cela, la mer n’est
pas présence pour cela.
Nous
avons une fois de plus perdu le message, Les voyelles ouvertes du
langage de l’eau, sa transparence palpable et inouïe.
Nous
ne sûmes pas même boire la transparence. Boire quelque chose c’est
l’apprendre.
Et
apprendre la transparence c’est continuer à apprendre
l’invisible.
dimanche 4 mars 2012
Emily Dickinson, To make a prairie
Pour faire une prairie il faut un trèfle et une abeille,
Un trèfle et une abeille,
Et la rêverie,
La rêverie seule y suffirait,
Si les abeilles venaient à manquer.
François Cheng, Cinq méditations sur la beauté
"Parfois au réveil dans la clarté indécise d'un pan d'espace,
où disparaissent tous les signes de reconnaissance,
je ne perçois ni des choses ni des images.
Je ne suis pas le sujet d'impressions pures,
ni le spectateur indifférent d'objets qui me font face.
Je suis co-naissant avec le monde qui se lève en lui-même
et se fait jour à mon propre jour, lequel ne se lève qu'avec lui"
Henri Maldiney " l'avènement de l’œuvre"
source Cinq méditations sur la beauté, François Cheng
où disparaissent tous les signes de reconnaissance,
je ne perçois ni des choses ni des images.
Je ne suis pas le sujet d'impressions pures,
ni le spectateur indifférent d'objets qui me font face.
Je suis co-naissant avec le monde qui se lève en lui-même
et se fait jour à mon propre jour, lequel ne se lève qu'avec lui"
Henri Maldiney " l'avènement de l’œuvre"
source Cinq méditations sur la beauté, François Cheng
Nils Udo
"Avec mon travail dans et avec la nature, j’abolis la frontière entre l’art et la vie."
samedi 3 mars 2012
Jacques Réda - Retour au calme, Gallimard, 1989
©Alexis Anne Mackenzie. |
J’entends rôder par les jardins la population de la pluie.
Ces pieds nus infiniment doux qui semblent revenir
D’un pays oublié, passent en moi comme à travers
Le feuillage tout neuf d’un vieil arbuste,
Lilas ou cytise enfin redéplié sous le ciel gris
De la cour qui s’enfonce avec la tourterelle
Au fond d’autrefois sous la pluie.
Je ne sais pas qui se souvient de visages mouillés,
Tendres comme des fleurs dans les branches qui ploient à peine
Sous ces pas innombrables. Je suis
L’espace où la douceur ancienne s’approche, l’herbe
Dont chaque brin porte une goutte où l’instant et le ciel
Et les jardins sont enfermés comme dans une perle
D’éternité mais qui tremble, c’est le printemps.
Jacques Réda, Retour au calme, Gallimard, 1989, p. 103
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