Extraits de deux conférences données par Federico Garcia Lorca en 1928.
La mission du poète est celle-ci : animer, dans son sens exact, donner de l’âme…Mais ne me demandez pas ce qui est vrai et ce qui est faux, parce que la « vérité poétique » est une vérité qui change selon l’énoncé. Ce qui est lumière chez Dante peut être laideur chez Mallarmé. Et d’autre part, on sait que la poésie doit être aimée. Que personne ne dise que ceci est obscur, parce que la poésie est limpide. C’est à dire qu’il est nécessaire de chercher « avec effort et vertu, la poésie, pour que celle-ci se donne à nous. Nous devons avoir oublié complètement la poésie pour que celle-ci tombe nue dans nos bras.(…) Ce que la poésie n’admet d’aucune façon c’est l’indifférence. L’indifférence est le siège du démon. Mais c’est elle qui parle dans la rue avec un vêtement grotesque de suffisance et de culture ».
Pour moi l’imagination est synonyme de l’aptitude à la découverte. Imaginer, découvrir, amener notre peu de lumière vers la pénombre vivante où existent toutes les infinies possibilités, les formes et les chiffres. L’imagination fixe et donne une vie limpide à des fragments de la réalité invisible où l’homme se meut.La fille directe de l’imagination est la métaphore, qui naît quelquefois des assauts rapides de l’intuition, éclairée par la lente angoisse du pressentiment.
Mais l’imagination est limitée par la réalité ; on ne peut imaginer ce qui n’existe pas.(…)L’imagination poétique voyage et transforme les choses, leur confère un sens plus pur et détermine des relations insoupçonnées; mais toujours, toujours, toujours elle agit sur des faits de la réalité la plus nette et la plus précise. Elle est dans notre logique humaine, contrôlée par la raison, dont elle ne peut se déprendre. Sa façon spéciale de créer nécessite l’ordre et les limites. L’imagination est celle qui a construit les quatre points cardinaux, celle qui a découvert les causes intermédiaires des choses, mais elle n’a jamais pu abandonner ses mains dans les braises sans la logique ni le sentiment où se meut l’inspiration libre et sans chaînes.
L’imagination est le premier échelon et la base de toute poésie. C’est avec elle que le poète construit une tour contre les éléments et contre le mystère. Il est inattaquable, il ordonne et il est entendu.L’imagination est pauvre et l’imagination poétique l’est plus encore. La réalité visible, les faits du monde et du corps humain ont beaucoup plus de nuances, sont plus poétiques que ce que l’imagination découvre.
L’imagination des hommes a inventé les géants pour leur imputer la construction des grandes grottes et des villes enchantées. La réalité a enseigné par la suite que ces grottes sont faites par la goutte d ‘eau. Par la seule goutte d’eau patiente et éternelle. Dans ce cas, comme dans beaucoup d’autres, c’est la réalité qui gagne. L’instinct de la goutte d’eau est plus belle que celle du géant.La vérité de la réalité surpasse l’imagination en poésie, c’est à dire que l’imagination elle même découvre son indigence.(…)
Le poète se promène toujours dans son imagination, limité par elle (…)Mais le poète se trouve pris entre son vouloir et son impuissance, seul dans son paysage intérieur.(…) Parce que lorsqu’il essaiera d’exprimer la vérité poétique d’un quelconque motif, il devra nécessairement se servir de sentiments humains, il se servira de sensations qu’il a vu et entendu, il aura recours à des analogies plastiques qui n’auront jamais une valeur esthétique adéquate. Parce que l’imagination seule n’arrive jamais à ces profondeurs.
Mais le poète qui veut se libérer du champ de l’imagination, ne pas vivre exclusivement de l’image que produisent les objets réels, arrête de rêver et arrête de vouloir. Il ne veut plus, il aime. Il passe de l’imagination qui est un fait de l’âme, à l’inspiration qui est un état de l’âme. Il passe de l’analyse à la foi. A ce stade les choses sont ainsi, sans effet ni cause explicable.Il n’y a plus de terme ni de limites, admirable liberté.
Ainsi comme l’imagination poétique a une logique humaine, l’inspiration poétique a une logique poétique. La technique acquise ne sert plus, il n’y a aucun postulat esthétique sur lequel agir ; et comme l’imagination est une découverte, l’inspiration est un don, un cadeauineffable. (…)
L’inspiration attaque souvent de face l’intelligence et l’ordre naturel des choses. Il faut regarder avec des yeux d’enfant et demander la lune. Il faut demander la lune et croire que l’on peut nous la mettre entre les mains.L’imagination attaque le sujet furieusement de toutes part et l’inspiration le reçoit tout à coup et l’enveloppe dans la lumière subite et palpitante, comme ces grandes fleurs carnivores qui emprisonnent l’abeille tremblante de peur et la dissolvent dans le jus amer qui suinte de ses pétales sans pitié.
L’imagination est intelligente, ordonnée, pleine d’équilibre. L’inspiration est quelquefois incongrue, elle ne connaît pas l’être humain et elle met souvent un vers livide dans les yeux clairs de notre muse. Parce qu’elle est amour. Sans que nous puissions le comprendre. L’imagination a et donne une ambiance poétique et l’inspiration invente le fait poétique.Le fait poétique ne peut pas être contrôlé. Il faut l’accepter comme l’on accepte la pluie d’étoiles. Réjouissons nous que la poésie puisse s’évader des griffes froides du raisonnement.
C’est le point de vue actuel de la poésie que je cultive. En tant que poète authentique, que je suis et que je serai jusqu’à ma mort, je ne cesserai de me flageller dans l’attente du flot de sang vert ou jaune qui forcément coulera de mon corps, à cause de ma foi, un de ces jours.(…)La lumière du poète est la contradiction. Cependant, je n’ai jamais prétendu convaincre quiconque.Je serais indigne de la poésie si j’adoptais cette position. La poésie ne requiert pas d’adeptes mais des amants. Elle met des branches de mûres et des bris de verre pour que les mains qui la cherchent se blessent par amour.
Traduction : J. Gran Riquelme (Source: Alianza Editorial Madrid)
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