"Je suis homme : je dure peu
et la nuit est énorme.
Mais je regarde vers le haut :
les étoiles écrivent.
Sans comprendre je comprends :
je suis aussi écriture
et en ce même instant
quelqu'un m'épelle."
mercredi 29 février 2012
mardi 28 février 2012
Kenneth White - Interprétations d'un pin tordu
Photo :Shitao ( vue du mont Huang)
|
J’ai commencé
Par pousser tout droit
Comme qui que ce soit.
Suivirent alors
Un virage vers le sud
Une inclinaison vers l’est
Une poussée vers le nord
Et un brusque tournant vers l’ouest.
Donc, si vous m’approchez
Attendez-vous à un brin de folie
Il n’y a que des pins dans la philosophie.
Le septième sommet Poèmes pour Chantal Mauduit GallimardANDRE VELTER
© Michal Kenna - BNF |
J'ai pour te bâtir un tombeau
des mots du soleil et des rêves,
rien qui appartienne au poids du monde
des mots du soleil et des rêves,
rien qui appartienne au poids du monde
rien qui t'impose une mort enchaînée,
rien qui ralentisse ta course plus haut
que tous les sommets.
rien qui ralentisse ta course plus haut
que tous les sommets.
Tu vois je t'invente
un tombeau sans dorure,
sans marbre ni couronne, je t'élève
moins qu'une stèle perdue dans le désert,
je t'offre un souffle de sable et de vent,
tombeau d'oiseau migrateur,
tombeau de papillon bleu,
tombeau de cerf-volant.
un tombeau sans dorure,
sans marbre ni couronne, je t'élève
moins qu'une stèle perdue dans le désert,
je t'offre un souffle de sable et de vent,
tombeau d'oiseau migrateur,
tombeau de papillon bleu,
tombeau de cerf-volant.
Au plain-chant de l'univers
tu es le rire de la pure lumière,
la joie sans ombre qui donne
et donne encore présence à l'impossible,
comme ce poisson que tu léguais au ciel
ou ces fleurs qui acceptaient pour toi seule
d'éclore sous la lune.
tu es le rire de la pure lumière,
la joie sans ombre qui donne
et donne encore présence à l'impossible,
comme ce poisson que tu léguais au ciel
ou ces fleurs qui acceptaient pour toi seule
d'éclore sous la lune.
Alors depuis les ténèbres où je suis,
moi le quasi-mécréant je te crie
que s'il est une autre Jérusalem,
tu es ma femme céleste..
moi le quasi-mécréant je te crie
que s'il est une autre Jérusalem,
tu es ma femme céleste..
Roberto Juarroz
"La hauteur de la rose n'est pas la hauteur de la pierre,
mais parfois la rose la surpasse en son extase.
La hauteur de l'homme n'est pas la hauteur de la pluie,
mais son regard va plus loin que les nuages.
Et parfois la lumière l'emporte sur l'ombre,
bien que l'ombre ait toujours le dernier mot."
lundi 27 février 2012
Erri de Luca
Deux n'est pas le double
mais le contraire de un,
de sa solitude.
Deux est alliance, fil double
qui n'est pas cassé
Norge - Reveil (dans "Plusieurs malentendus")
"Le petit jour poreux
qui efflue,
réhabite
nos vitreuses pensées
On s’entoge encore une fois
du faux habit de soi-même.
On replâtre le masque d’hier
a ce visage trop frileux
de sa nudité.
On reprend sa vie – pliée
sur un fauteuil
au pied du lit –
comme un vêtement qu’on soigne.
On s’inventorie la risqueuse
monnaie des paroles qu’il faudra dire,
la trouble marchandise des gestes
qu’il faudra faire
Pour demeurer la dupe
de son signalement.
Et chacun trouve naturel
de n’être pas devenu
un autre."
qui efflue,
réhabite
nos vitreuses pensées
On s’entoge encore une fois
du faux habit de soi-même.
On replâtre le masque d’hier
a ce visage trop frileux
de sa nudité.
On reprend sa vie – pliée
sur un fauteuil
au pied du lit –
comme un vêtement qu’on soigne.
On s’inventorie la risqueuse
monnaie des paroles qu’il faudra dire,
la trouble marchandise des gestes
qu’il faudra faire
Pour demeurer la dupe
de son signalement.
Et chacun trouve naturel
de n’être pas devenu
un autre."
Erri de Luca, Sur la trace de Nives
"On meurt quand on ne demande plus. Le verbe de la vie, c'est demander, avoir une question, lancer le point d'interrogation vers le haut, assombri ou dégagé. Demander pour forcer la solitude, envoyer loin à voix basse la requête, parce que le souffle et non pas le cri va loin. Demander, parce que ne pas demander, c'est capituler."
Roberto Juarroz
Juul Kraijer |
Mais beaucoup de choses se sont faites en moi.
Des oiseaux qui n'existent pas
ont trouvé leur nid.
Des ombres qui peut-être existent
ont rencontré leur corps.
Des paroles qui existent
ont recouvré leur silence.
Ne rien faire
sauve parfois l'équilibre du monde,
en obtenant que quelque chose aussi
pèse sur le plateau vide de la balance."
Roberto Juarroz (Quinzième poésie verticale, traduction Jacques Ancet)
" Éteindre la lumière, chaque nuit,...
Éteindre la lumière, chaque nuit,
est comme un rite d'initiation:
s'ouvrir au corps de l'ombre,
revenir au cycle d'un apprentissage toujours remis:
se rappeler que toute lumière
est une enclave transitoire.
Dans l'ombre, par exemple,
les noms qui nous servent dans la lumière n'ont plus cours.
Il faut les remplacer un à un.
Et plus tard effacer tous les noms.
Et même finir par changer tout le langage
et articuler le langage de l'ombre.
Éteindre la lumière, chaque nuit,
rend notre identité honteuse,
broie son grain de moutarde
dans l'implacable mortier de l'ombre.
Comment éteindre chaque chose ?
Comment éteindre chaque homme ?
Comment éteindre ?
Éteindre la lumière, chaque nuit,
nous fait palper les parois de toutes les tombes.
Notre main ne réussit alors
qu'à s'agripper à une autre main.
Ou, si elle est seule,
elle revient au geste implorant
de raviver l'aumône de la lumière."
(Roberto Juarroz)
Éteindre la lumière, chaque nuit,
est comme un rite d'initiation:
s'ouvrir au corps de l'ombre,
revenir au cycle d'un apprentissage toujours remis:
se rappeler que toute lumière
est une enclave transitoire.
Dans l'ombre, par exemple,
les noms qui nous servent dans la lumière n'ont plus cours.
Il faut les remplacer un à un.
Et plus tard effacer tous les noms.
Et même finir par changer tout le langage
et articuler le langage de l'ombre.
Éteindre la lumière, chaque nuit,
rend notre identité honteuse,
broie son grain de moutarde
dans l'implacable mortier de l'ombre.
Comment éteindre chaque chose ?
Comment éteindre chaque homme ?
Comment éteindre ?
Éteindre la lumière, chaque nuit,
nous fait palper les parois de toutes les tombes.
Notre main ne réussit alors
qu'à s'agripper à une autre main.
Ou, si elle est seule,
elle revient au geste implorant
de raviver l'aumône de la lumière."
(Roberto Juarroz)
ROBERTO JUARROZ (XIIeme POESIE VERTICALE)
Certaines lumières éteintes
éclairent plus
que les lumière...s allumées.
Il y a des lieux où il ne faut pas
que quelque chose soit allumé pour y voir clair.
De plus il y a des choses
qui s'éclairent mieux toutes lumières éteintes,
comme certaines strates obliques de l'homme
ou des recoins qui s'installent subrepticement
dans les espaces les plus ouverts.
Il y a cependant une intempérie de la lumière,
une zone sereine et dépouillée
où il n'y aucune différence
entre les lumières allumées
et les lumières éteintes.
.
éclairent plus
que les lumière...s allumées.
Il y a des lieux où il ne faut pas
que quelque chose soit allumé pour y voir clair.
De plus il y a des choses
qui s'éclairent mieux toutes lumières éteintes,
comme certaines strates obliques de l'homme
ou des recoins qui s'installent subrepticement
dans les espaces les plus ouverts.
Il y a cependant une intempérie de la lumière,
une zone sereine et dépouillée
où il n'y aucune différence
entre les lumières allumées
et les lumières éteintes.
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PORTRAIT D’UNE OMBRE (Jacques Ancet)
Il brille. Ou plus exactement, il miroite. On ne voit pas, on entrevoit, on ne voit pas. Une lueur, une presque voix. On est là au même endroit avec le chêne et la clôture, la montagne et le ciel. Très vite, on n’y est pas — on y est. Il dit ... On va comprendre. La lumière bouge. Le vent tombe. On va le voir.
— On voit, oui. Mais quoi ?
— Ce qu’on entend.
— Comment ça ?
— Des images dans l’oreille.
— Dans l’oreille ?
— Oui, là où parle la voix.
— Et que dit-elle ?
— Ce qu’on voit.
Sous la montagne, l’attraction de la nuit. Des racines sous l’arbre. Du vide sous l’espace. Sous les choses une force qui les rapproche, les serre. Un continu sans failles qui se referme. Et soudain, un souffle, une lueur, un rire. Ce pourrait être lui.
— On n’entend rien.
— C’est ce rien qui entend.
— Trop facile
— Trop difficile.
— Pourquoi ne pas se taire ?
— Se taire dit trop.
Il bouge dans ce qui bouge. Dans ce qui est immobile. Dans les feuillages balancés, dans le vert du pré. Dans l’éblouissement jaune du couchant. Dans les lunettes et dans la main, il passe, ne s’arrête pas. On a cru percevoir une ombre, mais c’est tout aussi bien une lueur ou même rien de ce qu’on peut dire. Mais c’est là. On s’arrête, on guette. Voilà la nuit dit une voix. On ne voit rien.
Longtemps on a cru que c’était une ombre mais à une ombre il faut un corps. Un monde aussi. Des pierres, des feuilles rouges, des rires, un saxo. Quelques pas, un éclat brusque, vitre ou visage. Un rien qui insiste, qui perce. On compte : un, deux, trois. Á quatre on a perdu. On dit : trop tard. On reste au bord.
— Au bord ?
— Au bord.
— De quoi ?
— Au bord, au bord.
On dit qu’il bouge, façon de parler — ou qu’il rit. Qu’il vient ou s’en va. Mais non. Il est là, simplement, il se cherche. Il entre dans le regard, la voix. On ne le voit pas. On ne le sent pas. Un instant on est lui. On saute par-dessus la clôture, on court. On lève les bras pour porter le ciel. On s’écroule. On n’est plus que soi.
C’est comme un sommeil. les yeux se ferment et on voit. Ça danse, ça gesticule. Une gerbe de couleurs, un rire en grelots.
— Écoute
— Oui ?
— Tu entends ?
— Oui.
— Il est là.
— Oui.
Une ombre sur les yeux ouverts.
Il a tous les visages. Il va et vient dans des couloirs, métros, gares, aéroports. Il passe des portes vitrées, feuillette des revues, rit au téléphone. Parfois, il disparaît sans crier gare. On croit voir sa forme dans la foule, son vide phosphorescent. On court. On crie. On fait hep ! hé ! On dit, mais où t’es-tu caché ? Dans les toilettes l’eau coule toujours du robinet, le séchoir souffle encore son air chaud. On se regarde dans le miroir désert.
On se dit que tous les jours on l’a perdu, que la brume et le temps l’ont effacé. Que le brouhaha a recouvert sa voix. Qu’il ne reste rien de son rire et sa pluie d’éclats étincelants. On se dit que c’est trop tard, toujours trop tard. La lumière laisse ses ombres et s’en va. On s’en va aussi, on ne sait plus où. Toutes les destinations reviennent à la pente étroite du même escalator noir. C’est là, au moment de descendre qu’on le voit monter. On se croise. Son visage est obscur, mais il sourit. Il montre du doigt quelque chose plus haut. Mais on descend, on s’enfonce. Quand on se retourne, on ne voit plus, au-dessus, que la bouche de lumière où il disparaît.
Roberto Juarroz, Poésie verticale I-IV, Talus d'approche, 1996 (traduction de Fernand Verhesen)
René Magritte. Golconde. 1953 |
Et la pensée pleut sur le monde
comme les restes d’un filet décimé
dont les mailles ne parviennent pas à se rejoindre.
Il pleut dans la pensée.
Et la pensée déborde et pleut dans le monde,
comblant depuis le centre tous les récipients,
jusqu’aux plus grands et plus scellés.
Il pleut sous la pensée
Et la pensée pleut sous le monde,
effaçant les soubassements des choses,
pour fonder à nouveau
l’habitation de l’homme et de la vie.
Il pleut sans la pensée
Et la pensée
continue de pleuvoir sans le monde,
continue de pleuvoir sans la pluie,
continue de pleuvoir. "
Roberto Juarroz
- SUPERVIELLE
C’est beau d’avoir élu
Domicile vivant
Et de loger le temps
Dans un coeur continu,
Et d’avoir vu ses mains
Se poser sur le monde
Comme sur une pomme
Dans un petit jardin,
D’avoir aimé la terre,
La lune et le soleil,
Comme des familiers
Qui n’ont pas leurs pareils,
Et d’avoir confié
Le monde à sa mémoire
Comme un clair cavalier
A sa monture noire,
D’avoir donné visage
À ces mots : femme, enfants,
Et servi de rivage
À d’errants continents,
Et d’avoir atteint l’âme
À petits coups de rame
Pour ne l’effaroucher
D’une brusque approchée.
C’est beau d’avoir connu
L’ombre sous le feuillage
Et d’avoir senti l’âge
Ramper sur le corps nu,
Accompagné la peine
Du sang noir dans nos veines
Et doré son silence
De l’étoile Patience,
Et d’avoir tous ces mots
Qui bougent dans la tête,
De choisir les moins beaux
Pour leur faire un peu fête,
D’avoir senti la vie
Hâtive et mal aimée,
De l’avoir enfermée
Dans cette poésie.
Domicile vivant
Et de loger le temps
Dans un coeur continu,
Et d’avoir vu ses mains
Se poser sur le monde
Comme sur une pomme
Dans un petit jardin,
D’avoir aimé la terre,
La lune et le soleil,
Comme des familiers
Qui n’ont pas leurs pareils,
Et d’avoir confié
Le monde à sa mémoire
Comme un clair cavalier
A sa monture noire,
D’avoir donné visage
À ces mots : femme, enfants,
Et servi de rivage
À d’errants continents,
Et d’avoir atteint l’âme
À petits coups de rame
Pour ne l’effaroucher
D’une brusque approchée.
C’est beau d’avoir connu
L’ombre sous le feuillage
Et d’avoir senti l’âge
Ramper sur le corps nu,
Accompagné la peine
Du sang noir dans nos veines
Et doré son silence
De l’étoile Patience,
Et d’avoir tous ces mots
Qui bougent dans la tête,
De choisir les moins beaux
Pour leur faire un peu fête,
D’avoir senti la vie
Hâtive et mal aimée,
De l’avoir enfermée
Dans cette poésie.
BASHÔ (1644-1694)
Un piment
mettez-lui des ailes
une libellule rouge.
mettez-lui des ailes
une libellule rouge.
Par bonté bouddhique, Bashô modifia un jour, avec ingéniosité, un haïku cruel composé par son humoristique disciple, Kikakou. Celui-ci ayant dit :
Une libellule rouge
arrachez-lui les ailes
un piment.
Henri Meschonnic, L’Obscur travaille, (éditions Arfuyen)
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